De l’autre côté du fleuve, le long des quartiers administratifs, Anouar se dévergonde avec des amantes. Deux superbes créatures, toutes parées de faux cheveux et de faux cils, de lèvres mises en valeur par des artifices chers et recherchés, la peau soyeuse, et décapée. Elles sont parées telles des déesses d’un autre âge.
Anouar, fier comme un coq, joue avec ses innombrables téléphones, il est un homme heureux qui va de conquête en conquête et il vient une fois de plus de mettre en boîte une sardine qu’il convoite depuis un moment, c’est à croire que les femmes de cette ville ne résistent pas aux atours du pouvoir. Il est connu pour être un homme de confiance de ceux d’en haut, et les femmes ne lui résistent point. La dame convoitée est venue avec une amie, certainement pour la couvrir, pour semer le doute dans l’esprit de ceux qu’ils pourraient rencontrer dans ce restaurant, lui n’en a cure, tout ce qui l’intéresse, c’est de savoir quand il l’aura dans son lit ; pour lui, la femme n’a de plus grand attrait que celui d’être une femelle dans un lit. Pour ceux d’en haut et leurs acolytes, les choses d’en dessous de la ceinture sont d’une importance capitale, certainement pour suppléer à certains manquements graves de leur personnalité. Ils se complaisent fortement dans cette débauche sexuelle qui va de pair avec certains pouvoirs.
On ne sait pourquoi ni comment l’orgie frénétique à tout-va est devenue une activité favorite de tous ceux qui ont un certain pouvoir ; comme si le sexe et l’argent ne pouvaient qu’être intimement liés.
Anouar chasse ses proies partout à travers la ville. Il chasse pour lui-même, mais aussi pour d’autres qui ne peuvent pas s’afficher ; le dévergondage des filles et des femmes a pris une ampleur telle que la chasse aux femmes est de plus en plus aisée dans certains endroits stratégiques. Un regard suffit pour que les échanges de numéros et d’adresses électroniques se fassent. Les filles sont de plus en plus alertes, de plus en plus provocantes, de plus en plus disponibles et expertes en la matière. La prostitution est devenue une source de revenus pour de nombreuses femmes, jeunes et moins jeunes. Le règne de ceux d’en haut a mis le pays sur la tête, la prostitution ne fait plus honte ni peur, c’est rentré dans les mœurs. On s’offusque de celle, officielle, décriée à grands coups de scandales et de répression contre les lieux dits de débauche, orchestrée de main de maître, avec des mises en scène spectaculaires, et parallèlement, on s’en donne à cœur joie en pratiquant celle officieuse dans des hôtels quatre étoiles, dans les bureaux climatisés, au cours de voyages de prestige, mais là, on ne parle plus de prostitution, il s’agit pour ceux qui la pratiquent de petites sauteries sans importance, et bien entendu, avec des dames élégantes, rien à voir avec ces malheureuses qui tapinent le long des trottoirs de la ville. Anouar et ses pairs sont de hauts responsables qui savent se respecter. Leurs coucheries sont des moments de distraction pour gens respectables, leurs pantalonnades n’en sont pas. Au pays, faire l’autruche est devenu la posture favorite de ceux qui ne veulent rien voir et qui cherchent à tromper jusqu’à leur propre conscience.
Anouar a invité les deux élégantes pour un déjeuner aguichant dans un restaurant huppé de la capitale, il sait qu’il sera vu et envié par certains. Les dames se sont empressées d’accepter l’invitation. Bien que travaillant officiellement dans l’administration et occupant de hautes fonctions, elles ne résistent jamais aux sauteries auxquelles on les convie. Elles sont d’ailleurs toujours impeccablement mises, bien habillées, bien coiffées, le visage suffisamment peinturluré pour captiver les regards. L’approche aisée, la repartie facile, elles ont tous les atouts pour arriver à leurs fins. Elles savent aussi ce qu’elles obtiennent en contrepartie. Elles sont toujours grassement payées. Mais ce ne sont pas des prostituées. Loin de là, elles n’ont rien à voir avec celles qui tapinent le long des avenues. Elles sont des dames respectables avec des fonctions respectées dans l’administration ou dans leur entreprise. Elles s’enrichissent de plus en plus vite et à chaque nouvel amant, leur compte en banque devient plus vert. Elles n’ont rien des vulgaires prostituées pourchassées par la police.
Faire l’autruche est si plaisant pour la conscience !
Fatoumata KANE - Disgrâce - Les Éditions Lakalita - 2010
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